Avec l’aimable accord de Bertrand Vergely, nous publions plus bas le texte du message d’hommage qu’il a adressé à Annick après la cérémonie :
Le mercredi 14 août dans l’église de Rochefort-sur-Loire, a eu lieu l’office des funérailles d’Annick de Souzenelle, décédée, née au ciel, le 11 août dernier à 101 ans.
Message pour Annick de Bertrand Vergely
« Pour Annick,
Ma chère Marie-Anne, mon cher Geoffroy et mon cher Emmanuel, vous qui êtes invisiblement là, chère Osame, cher Raoul, chère Agnès, vous qui avez été à l’origine de l’Institut d’anthropologie Arigah chargé de faire vivre l’enseignement d’Annick, chère Brigitte, cher Fabienne, cher Bertrand qui dirigez cet Institut, chers professeurs et maîtres d’ateliers qui œuvrez dans cet Institut en y apportant votre savoir et votre talent, chers amis d’Annick, cher père Marc, cher père Philippe qui être venus pour cette cérémonie non pas d’enterrement mais d’enciellement comme le disait Annick, mesdames et messieurs, chers amis, quand je pense à Annick, trois mots me viennent : gratitude, puissance et louange.
Quand, il y a quelques années de cela, alors qu’il était encore vivant, j’ai rencontré René Girard, je lui ai dit merci pour avoir créé dans ma vie un avant et un après. Il y a eu dans ma vie un avant René Girard avant de l’avoir lu et un après René Girard après l’avoir lu. Montrant que le christianisme n’est pas une religion du sacrifice avec toute sa violence, mais le démontage des mécanismes sacrificiels qui en font un système doloriste, il avait fait apercevoir qu’il existe un autre christianisme et avec lui une autre religion, un christianisme libérateur pour une religion libératrice allant bien au-delà de ce que l’on entend communément par christianisme et religion. Avec Annick, il en est allé de même.
Quand je l’ai lue, il y a eu un avant l’avoir lue et un après l’avoir lue. Avant l’avoir lue, j’avais quelques idées à propos du christianisme et de la religion. Je sentais que ceux-ci étaient beaux et justes sans vraiment être en mesure de pouvoir dire pourquoi. Après l’avoir lue, je me suis réveillé sous le coup d’une bourrasque comme si un grand vent avait ouvert les fenêtres de ma vie. Ce réveil a eu lieu à l’occasion du Féminin de l’Être.
Comme tout le monde, j’avais entendu parler d’Adam et d’Ève. Comme tout le monde, je n’étais pas loin de voir en eux un monsieur et une dame simplement revêtus d’une feuille de vigne dans un jardin, jusqu’à ce qu’un coup de tonnerre appelé Annick de Souzenelle ne vienne me tirer de ma torpeur infantile.
Quand on parlait d’Adam et d’Ève on n’en parlait pas parce que l’on ne tenait aucun compte des termes en hébreu qui les désignait. On n’entendait pas ce qui parle, le souffle et derrière lui le Verbe, la divine Parole parlant d’elle-même.
Tout étant inspiré par le nom de Dieu, YHVH, Yod Hé Vav, Hé, Je suis ou Personne infinie, tout est appelé à devenir cette Personne à partir d’une noce entre l’époux intérieur le feu et l’épouse intérieure la feu, comme le dit Annick. Quand cette noce s’accomplit elle donne l’Homme, l’Adam, celui qui a trouvé sa terre, sa adamah.
J’avais lu Carl Gustav Jung qui parle de l’unité de l’âme à partir de la coïncidence de ses opposés, le masculin ou animus et le féminin ou anima. J’avais lu Gaston Bachelard qui, inspiré par Jung, avait vu dans la dialectique du masculin et du féminin chez Jung, l’occasion de penser une dialectique cosmique à partir de l’eau et du feu. Personne ne m’avait expliqué que cette dialectique n’est pas simplement celle du cosmos ou bien encore de l’âme, mais la dialectique même de l’Être. Personne ne m’avait montré que l’Être est appelé à vivre en nous afin que nous soyons à partir du baptême de l’eau, celui du feu et celui du crâne.
Enténébré par l’affligeante idée que la femme est issue d’une côte d’Adam, personne n’avait compris le côté cosmique et divin de l’Homme. Berdiaev qu’Annick tenait en haute estime avait certes déjà frayé un chemin vers cette interprétation révolutionnaire. Il avait rêvé que le christianisme moderne devienne vraiment intelligent. Annick l’a fait.
En le faisant, le monde a changé de face. L’homme cessant d’être dans le monde, le monde est devenu ce qui est dans l’homme. Devenant le monde intérieur au lieu d’être simplement le monde, tout s’est mis à avoir une résonance infinie. Tout se mettant à résonner, on a non seulement eu le droit d’être poète et mystique. On en a eu le devoir.
Les philosophes d’aujourd’hui pensent que la religion est obscure. Elle l’est quand, menée par des ignorants, elle tombe en décadence. Ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui. Annick le constatait souvent en le déplorant. Mais il existe une autre religion, la religion intérieure, celle qui consiste à faire religieusement les choses avec une attention extrême en vivant de tout son être. D’où le lien entre religion, attention, corps et Être.
C’est ce qu’Annick n’a cessé de rappeler en mettant le corps au centre de la Parole et la Parole au cœur du corps, pour reprendre le titre d’un livre d’entretiens qu’elle a eus avec Jean Moutapa. Approche transcendante de l’incarnation et incarnée de la transcendance avec l’Homme comme accomplissement d’une noce entre l’époux et l’épouse, le feu et la feu, et Dieu comme corps du corps, chair de la chair, os des os, pour reprendre la parole qui est celle d’Adam Ich quand pour la première fois il voit Ève, son Icha.
J’ai une immense gratitude envers Annick. Elle a changé ma vie parce qu’elle m’a fait naître. Je crois que je ne suis pas le seul. Nous sommes des dizaines, des centaines, des milliers qui avons eu notre vie changée par son enseignement.
Lorsque je suis allé la voir il y a quinze jours afin de lui dire au revoir, je le lui ai dit. « Regarde Annick. Nous sommes des dizaines, des centaines, des milliers qui avons pour toi plein d’amour et plein de gratitude, tant tu nous as permis de devenir ce que nous sommes. Tu peux être fière de ce que tu as fait parce que nous tous, nous sommes fiers de toi, fiers de t’avoir lue, fiers de t’avoir entendue, fiers de t’avoir connue ». Quand j’ai prononcé cette parole, Sophie qui était là me l’a fait remarquer, une larme a coulé de son œil mi-clos. Elle m’avait entendue.
Annick a changé notre rapport à la religion en général et au christianisme en particulier. Elle n’a pas fait que cela. Elle a aussi été puissante en apportant de la puissance. Si à la source de toute chose il y a la source divine ineffable ou Être, exprimée par le Je suis, l’être se manifeste par la puissance qui est énergie irrépressible.
L’Être ou Dieu est d’une force, d’un amour, d’une intelligence et d’une liberté dont on n’a pas imagination. C’est ce qui donne à la Parole divine le caractère d’être une loi ontologique. Annick le disait souvent : « Ah mes amis ! Si vous saviez comme tout cela est beau ». On croit que la puissance signifie le pouvoir. Elle signifie la beauté. On ne peut empêcher la beauté d’être. Cette beauté, on la trouve dans la Parole.
La vie n’est pas muette. Elle parle en touchant les cœurs et en créant une harmonie qui va du cœur à l’univers et de l’univers au cœur. Il est puissant, c’est-à-dire beau, de faire l’expérience de cette harmonie. On sent alors vivre une énergie qui ne connaît pas la mort. Il est encore plus puissant de la faire vivre. C’est ce que fait la transmission.
La beauté de la transmission, Annick l’a apprise avec Jean Kovalevsky ou Évêque Jean qui a fondé l’ÉCOF ou Église catholique orthodoxe de France. Dans chaque mot de l’Évangile, il y a une bibliothèque cosmique, humaine et céleste. L’Évêque Jean a appris à Annick à lire l’Évangile ainsi. Annick nous a appris à son tour à le lire ainsi en y rajoutant toutefois une chose à savoir l’hébreu.
L’Évangile a été détourné par la politisation du christianisme qui en a fait un instrument au service d’un pouvoir militaro-religieux. Ce pouvoir a notamment effacé toute la puissance intérieure et ontologique des mots afin d’en faire les instruments d’un code politico-social autoritaire.
En hébreu, tout mot a un sens littéral, historique, moral et mystique. Tout mot renvoie à des lettres mais aussi à des chiffres. Tout mot a une divine énergie qui ne demande qu’à être intériorisée. Il faut beaucoup de force pour retrouver le sens, le chiffre et l’énergie qui se trouvent dans les mots. Il faut avoir la force de casser la coque de paresse, de conformisme et de médiocrité intellectuelle, morale et spirituelle qui vide la parole de sa substance. Cette force, Annick l’a eue. C’est ce qui a fait la singularité de sa parole.
Lorsqu’on allait la voir, il y avait toujours un moment où, comme Geoffroy son mari, elle disait : « Mes amis, passons à un autre niveau ». Commençait alors une conversation, un dialogue au sens fort au cours duquel, telle la foudre tombant du ciel, tel le sabre du guerrier spirituel tranchant de façon précise et juste, le dia Logos, la parole qui traverse de part en part surgissait. On ressortait alors fortifié, ressourcé, inspiré.
La tradition orthodoxe à laquelle appartenait Annick explique que l’on ne progresse pas dans la vie spirituelle sans un père spirituel. Grâce à Annick qui a été ma mère spirituelle, j’ai compris ce que cela voulait dire. Nous avons besoin d’un maître, d’un guide, d’un éveilleur plus éveillé que nous qui bouscule nos torpeurs, qui balaie nos conformismes, qui fasse vivre le mot homme intérieur quand nous piétinons, quand nous dormons, quand nous sommes morts alors que nous devrions être vivants.
Annick qui a changé nos vies a été puissante. Elle a changé nos vies et été puissante parce qu’elle a été orthodoxe, profondément orthodoxe, au sens non banal. Il ne s’agissait pas pour elle d’être une farouche gardienne de temple mais de donner un sens plein à la notion d’orthodoxie, c’est-à-dire de juste louange.
Le fond des choses est louange. Les Psaumes le chantent « Que tes œuvres sont grandes, Seigneur, tu as s tout fait avec sagesse ». La vie ne cesse de louer la vie. Le vivant ne cesse de célébrer le vivant. Cette célébration Annick n’a cessé d’en parler en s’inspirant du Christ et à travers lui du Verbe.
Nous avons en nous un corps inconnu. Il existe dans l’Homme un homme inconnu. Il existe à travers toutes les traditions de sagesse et de sainteté un Dieu inconnu. On est dans la juste louange quand on voit le monde, les hommes et l’Être ainsi. Le Christ fait vivre ce corps, cet homme et ce Dieu à travers sa résurrection qui, depuis la création du monde ne cesse de susciter et de ressusciter la terre, l’humanité et le ciel.
Dans l’histoire humaine, ce corps, cet homme et ce Dieu inconnus parlent à travers l’étrange et surprenante résonance que l’on peut trouver chez tous les hommes et chez toutes les femmes de Dieu à travers le monde ainsi que dans toutes les traditions spirituelles. Le christianisme, le judaïsme, l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, les religions africaines et amérindiennes ne sont pas les mêmes et il ne saurait être question de les confondre. En le faisant on créerait de la confusion et non une unité.
Il n’en reste pas moins que toutes ces traditions à leur façon disent le Dieu fait homme afin de faire naître une humanité non pas divinisée se prenant pour Dieu mais déifiée en étant habitée par lui. Dans le Tao, l’équilibre qui fonde l’univers et qui le maintient est symbolisé par un homme qui relie le ciel et la terre comme un arbre avec ses racines et ses branches. Cet homme totalement trinitaire, on le retrouve partout.
Dans l’Institut d’anthropologie qui s’est installé à Vendôme, ce mystère de l’humanité en voie de déification est admirablement exprimé par la diversité des traditions qui y sont représentées : grecque, chrétienne, juive, musulmane, hindouiste, bouddhiste, africaine, mais aussi par le remarquable travail corporel qui accompagne cette diversité en faisant vivre les formes, le corps, la danse, la voix le jeu, le chant, le dessin, le modelage.
Enfin, dans l’œuvre d’Annick, ce sens de la diversité créatrice se trouve dans la façon unique qu’elle a de faire jouer ensemble comme les musiciens dans un orchestre la Bible, l’Évangile, l’hébreu, la psychologie des profondeurs et la pensée. Quand cette diversité prend forme, elle donne ce que l’on peut trouver dans Alliance de feu : un livre inouï qui n’est plus un livre mais une danse faite livre dont on se demande comment il a pu être écrit et comment il a pu être édité tant il a dû être difficile de l’écrire et de l’éditer.
Le christianisme est fait de traditions différentes qui sont chacune une façon de voir le Christ. Le protestantisme pense que l’on unit les hommes en passant par la réforme morale. Le catholicisme pense qu’on les unit en passant par une politique de l’humanité universelle. L’orthodoxie pense qu’on les unit par la louange et sa justesse. En étudiant, en enseignant, en parlant, en écrivant, en fondant un Institut d’anthropologie spirituelle, Annick a fait vivre cette louange. Mieux, elle a été cette louange comme en témoigne son regard inoubliable rayonnant de vive lumière.
Il y a une semaine de cela, en donnant des nouvelles d’Annick, Marie-Anne a eu cette parole subtile et belle : « Annick, qui ne peut plus entendre au sens physique et humain, entend désormais une voix avec laquelle rien ne peut rivaliser ». Cette parole de Marie-Anne résume bien ce qu’a été Annick, ce qu’elle est et ce qu’elle sera toujours : une femme non pas simplement reliée mais absolument reliée, tellement reliée qu’elle nous a permis à toutes et tous de faire l’extraordinaire expérience d’être relié et de se sentir relié.
Annick a souvent dit que la mort est mutation et non mort comme le cimetière en hébreu ne s’appelle pas cimetière mais la maison de la vie. En ce jour béni chère Annick où tu vas vivre la mutation absolue et resplendissante, au nom de toutes et de tous, laisse-moi te dire encore combien nous t’aimons et combien nous sommes d’une infinie gratitude envers toi. Nous avons eu la chance de communiquer avec toi dans le visible. Nous allons maintenant communiquer avec toi dans l’invisible et par lui. Tu as été géniale dans le temps des hommes. Aujourd’hui, tu es géniale pour l’éternité. »
À propos de l’auteur
Jivko Panev
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Œuvres
- De l’arbre de vie au schéma corporel, le symbolisme du corps humain, éditions Dangles, coll. « Horizons ésotériques », 1977.
- L’Égypte intérieure ou les dix plaies de l’âme, Albin Michel, collection « Espaces Libres », 1991.
- Le Symbolisme du corps humain, Albin Michel, collection « Espaces Libres », 1991.
- La lettre, chemin de vie : Le symbolisme des lettres hébraïques, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », Paris, 1993, 340 p. (ISBN 2-226-06512-1)
- La Parole au cœur du corps, entretiens avec Jean Mouttapa, Albin Michel, 1993 et coll. « Espaces Libres », 1997
- Job sur le chemin de la lumière, Albin Michel, 1994, 1999 (ISBN 2-226-07022-2), 202 pages
- Le Féminin de l’être. Pour en finir avec la côte d’Adam, Albin Michel, 2000
- Œdipe intérieur, Albin Michel, 1998, 2008
- Manifeste pour une mutation intérieure, Éditions du Relié, 2003
- L’arc et la flèche, Albin Michel, 2003
- L’alliance oubliée, Albin Michel, 2005
- Résonances bibliques, Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, 2006 (ISBN 978-2226172877)
- Alliance de feu (2 tomes), Albin Michel, 2007
- Le Baiser de Dieu, Albin Michel, 2008
- Jonas. Nous sommes coupés en deux, Éditions du Relié, 2008
- Cheminer avec l’ange, Éditions du Relié, 2010
- L’initiation (avec Pierre-Yves Albrecht), Éditions du Relié, 201210
- Va vers toi, Albin Michel, 2013.
- Le Seigneur et le Satan. Au-delà du bien et du mal, Albin Michel, 2016 (ISBN 9782226320179)
- Le Livre des guérisons. Les Évangiles en eaux profondes, Albin Michel, 2017
- Le grand retournement – La généalogie d’Adam aujourd’hui, Le Relié, 2020
- Elle participe à l’ouvrage de Marc Welinski, Comment bien vivre la fin de ce monde, Éditions Guy Trédaniel, mars 2021.
- Deviens ton Seigneur intérieur !, Éditions L’Originel-Charles Antoni, novembre 2022 (ISBN 9782383570165).
- Méditation sur la Mort, Le Relié, 2023.