Homélie du 6 janvier 2017 à Plérin Fête de la Nativité du Seigneur de Père Jean Michel Sonnier, prêtre à Plumaudan et doyen des paroisses orthodoxes de Bretagne, Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale
lecture du Saint Evangile selon Saint Matthieu II, 1-12 pour le Fête de La Nativité
En ce temps-là, comme Jésus était né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient d’être mis au monde ? Car nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus l’adorer ». A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Christ, le Messie, devait naître. « A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car ainsi est-il écrit par le prophète : ‘Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple ». Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’étoile apparaissait, et les envoya à Bethléem en disant : « Allez-vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez- moi pour que, moi aussi, j’aille l’adorer ». Sur ces paroles du roi,
ils se mirent en route ; et voici que l’étoile, qu’ils avaient vue à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’elle vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. A la vue de l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison et virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent ; ils ouvrirent leurs trésors et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Puis, avertis-en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin. »
Homélie Fête de la Nativité du Seigneur
Frères et sœurs,
Voici que nous avons entendu aux Vigiles: « Aujourd’hui un fils nous est né », selon la parole du prophète
Isaïe. Et depuis plus de 2000 ans, nous entendons « aujourd’hui »… En ce jour où le Christ naît réellement,
liturgiquement dans l’Eglise, il ne s’agit pas du simple souvenir d’un événement lointain, car par l’Esprit Saint
l’Eglise actualise le mystère du Christ qui est un mystère éternel, celui des noces de Dieu et de l’humanité ! Quand
la Parole de Dieu a pris chair dans l’humanité, ce n’était pas d’un fragment d’humanité seulement. Le Verbe de
Dieu, créateur de toutes choses, englobe ce monde et bien au-delà… Le Christ s’incarne ainsi dans toute notre
humanité, pour réunir dans son Corps nos individualités fractionnées à travers le temps et l’espace: pour que par
l’Esprit Saint nous devenions, comme dans la Jérusalem céleste décrite par St-Jean, un seul peuple, un seul cœur et
un seul esprit (quoique tous différents), en communion avec notre Dieu-Trinité. En effet, il y a une grande
différence entre la vision du royaume chrétienne et la vision de la délivrance dans les philosophies orientales.
Nous ne sommes pas simplement une goutte d’eau appelée à retomber de manière impersonnelle dans un océan où
elle se perdrait et se noierait finalement. Nous sommes destinés à retrouver une transparence originelle, chacun
demeurant profondément ce qu’il est, mais en communion avec Dieu et avec la création, et non plus en
opacité à la lumière de Dieu.
Lorsqu’Adam a choisi de prendre son destin en main, provoquant la rupture de cette communion vitale à
notre créateur, c’est bien sûr une figure de ce qui se reproduit en chacun d’entre nous et jusqu’au dernier
homme, puisque nous sommes ici sur la terre du choix. Pour être amené à y choisir librement l’Amour qu’est
Dieu. Car l’amour ne peut pas s’imposer, sinon il cesse immédiatement d’être vrai. Cet amour qui est la
substance même de Dieu est beaucoup plus qu’un sentiment, beaucoup plus qu’un simple élan du cœur, c’est
une puissance indescriptible puisqu’elle est à l’origine de la création du monde. Et avant même cette création
du monde, Dieu était déjà une puissance d’amour (nous n’avons pas trouvé de mot plus juste. Il en existe
plusieurs en grec pour désigner toutes les nuances d’amour alors que notre français est assez pauvre sur ce
plan).
Les pères de notre Eglise disent que lorsque Dieu s’est incarné dans notre humanité, Adam avait laissé se
brouiller l’image qu’Il avait imprimé en lui lors de sa création, un peu comme la surface de l’eau lorsqu’on y
jette des cailloux… les vaguelettes ne reflètent plus le ciel, tout est brouillé. Le cœur de l’homme était ainsi
mélangé, il ne pouvait plus refléter véritablement le cœur de Dieu, il était devenu obscure à cette lumière qui
pourtant était destinée à briller en lui pour éclairer le monde alentour, afin qu’il soit le prêtre de la Création,
c’est à dire qu’il la reçoive et la rende en action de grâce !
Nous avons beaucoup de témoignages contemporains (pas seulement des siècles lointains !) attestant
qu’autour des saints qui ont véritablement connu en eux la métanoïa (la transformation du cœur), qui ont
revêtu le Christ et rejeté le vieil homme (même si les combats continuent), il se passe quelque chose de très
singulier : les animaux sauvages deviennent en effet familiers à leur côté, comme si cette lumière de Dieu
brillait à nouveau dans leur cœur et par transparence touchait le cosmos autour d’eux.
Le Christ a choisi de venir comme un enfant, dont nous célébrons ce soir la naissance, pour rendre à
l’homme son vrai visage, car il avait perdu la clarté du regard dans lequel brille l’amour de Dieu. Il nous
appelle à retrouver cette ressemblance, et il touche aussi bien de simples bergers que ces mages qui
représentent la science de cette époque : la connaissance des astres et des lois de la nature. Parce qu’ils
étaient humbles eux aussi, ces derniers ont vu « avec » leur science, et non pas comme souvent aujourd’hui
« malgré » elle, l’événement qui allait se produire ; et ils sont venus jusqu’à l’endroit où était l’enfant. Cela veut
dire que pour trouver où est Dieu, il faut savoir en prendre les moyens : garder les yeux ouverts, l’esprit en
éveil, ne pas s’arrêter à quelques formes et conclusions hâtives.
Les anges, l’étoile ont parlé au cœur des uns et des autres. Le seul qui a su mais qui a refusé le don de Dieu
est Hérode, et tous ceux qui l’ont depuis suivi. Car cela peut se transposer d’année en année jusqu’à
aujourd’hui. Il savait lui aussi, il croyait à la naissance annoncée par les prophètes, avait cherché où était
l’enfant messianique, mais c’était pour le faire périr ! L’homme aura toujours ce choix redoutable parce que
libre sans lequel il ne peut pas y avoir de vraie rencontre…
Revenons encore sur un point important : une telle rencontre ne peut se faire que si nous nous mettons en
marche. Il ne suffit pas d’en avoir un vague espoir. A un moment donné, il faut faire le point en soi-même :
Qu’est-ce que je veux aujourd’hui? Pas demain ni hier, mais aujourd’hui, dans cet instant présent où, là
seulement, Dieu peut nous rencontrer si nous veillons avec vigilance, au lieu de nous échapper dans nos
pensées et distractions imaginaires. Car dans notre temps déchu il n’est que le présent à pouvoir ouvrir par
grâce une brèche sur l’éternité.
C’est pour cette raison que la Sauveur naît vraiment pour nous « aujourd’hui » (et non pas seulement il y a
2000 ans), par la grâce de l’Esprit Saint ! Par les Mystères de l’Eglise, nous sommes directement mis en
relation avec l’événement que nous vivons. Le temps et l’espace sont ainsi transcendés dans la divine
Liturgie. Le Christ est réellement là au milieu de nous. Il se tient à la porte et il frappe. C’est à nous de lui
ouvrir. Le faisons-nous ?
Le Seigneur nous prévient aussi : » Si vous n’accueillez pas le royaume de Dieu comme un enfant, vous n’y
rentrerez pas ». Un petit enfant, c’est d’abord un cœur pur, en ce sens qu’il dit ce qu’il pense, qu’il vit ce qu’il
dit et qu’il n’y a pas en lui de double jeu. Il n’y a pas d’un côté la parole et de l’autre les actes, pas de calcul.
L’enfant a un cœur unifié, et c’est avant tout cela un cœur pur… Comme le Christ le dit lui-même : « Que ton
« oui » soit oui, que ton « non » soit non, excluant toute duplicité, laquelle est le propre des cœurs partagés.
N’oublions pas la division est le propre du Malin… Ce travail d’unification de notre cœur est précisément
l’œuvre de la conversion. Il n’est pas besoin d’aller loin : le Salut ne vient pas de l’extérieur mais du plus intime de nous-mêmes. Il est une lumière qui vient à nous quand nous activons le déclic nécessaire pour que
s’ouvre cette porte profonde dans notre cœur.
Une autre question est encore : comment peut-t-on accéder à cette transformation puisque nous sentons
tellement sur nos épaules le poids d’habitudes, de passions, de tout ce qui nous ligote ? Eh bien il faut le
décider, laisser se creuser en nous cette soif et implorer l’Esprit pour qu’il nous dégage du vieil homme et
nous fasse revêtir le Christ. Alors, notre coeur battra d’une manière nouvelle, nous sentirons qu’une présence
venue d’au-delà de nous-mêmes est bien là, et une joie commencera à poindre à nous, comme pour les
enfants quand ils sentent qu’une fête arrive. Avec un cadeau royal qui n’est pas un jouet donné par Dieu,
mais Dieu lui-même ! Ce qu’Il attend de nous, ce n’est pas davantage un riche cadeau (« j’ai une vie bien
réussie dont je te remercie et que je t’offre, Seigneur…»), ça peut être tout à fait autre chose : « Je n’ai pas
fait grand-chose de bien et le peu que j’ai fait et que je peux t’offrir, c’est grâce à mon entourage ; mais je
t’aime Seigneur, et je viens quand même vers toi, car c’est bien toi que je désire ! ». C’est cela l’humilité de
Noël.
Dieu est humble et nous montre l’exemple. Il est venu comme un enfant dépossédé de puissance. Dieu ne
veut pas nous convertir à la pointe des kalachnikovs comme le croient hélas certains, car il n’est pas un tyran.
Et il n’a que faire d’hommes qui lui obéiraient comme des esclaves, sans liberté ni amour. Un père peut
attendre longtemps le retour du fils, mais ce qui lui importe, c’est l’amour de son fils et non pas seulement
l’obéissance, encore que cela puisse être un chemin… Ce qui est important, c’est avant tout sa décision de
retourner dans la maison paternelle, décision profonde de changer sa vie en conséquence. Alors la joie
pourra nous toucher nous aussi dans nos épreuves malgré nos maladies, malgré tout ce qui pèse sur nous et
autour de nous. Nous saurons que nous ne sommes pas seuls, qu’une lumière veille en nous et sur nous, celle
du Christ !
Faut-t-il enfin, pour accueillir cette joie de Noël, oublier au moins pour un temps toute la misère du monde ?
Évidemment non ! Le Christ est venu dans une grotte. La plupart des icônes montrent que cette grotte
ressemble déjà à un tombeau de façon prémonitoire, mais que celui-ci va devenir l’Anastasis, le lieu de la
résurrection, le lieu où le feu jaillit. Le Christ vient du plus loin que nous pouvons concevoir, et prend
pleinement chair dans notre humanité dont il se revêt, il est le Dieu-homme (et non l’homme-Dieu). Il nous
faut être à la fois dans la joie et dans la compassion. Nous ne pouvons être dans la compassion sans avoir en
nous-mêmes l’espérance, et tenir les deux en même temps : la joie de savoir que Dieu ne nous abandonnera
pas, qu’il est déjà victorieux, qu’il nous attend au-delà du parcours difficile que nous avons à vivre (comme
les enfants qui font un parcours semé d’obstacles à l’école), et qu’il nous attend sur la ligne d’arrivée. Mais
simultanément, être dans la compassion pour tous ceux qui sont tombés à terre, que les obstacles ont
renversés, que le malin a réussi à faire tomber avec la complicité des hommes, parfois même la nôtre…
L’espérance, c’est croire que rien n’est vain dans nos vies, que tout concourt au bien de celui qui aime Dieu et
se sait aimé de lui. Qu’aucune vie retranchée dans la douleur n’aura été vaine, parce que nous ne voyons pas
tout et que Dieu est miséricorde. Le sens que nous ne trouvons pas dans la lecture historique de ce monde,
nous le trouvons à travers ce que cette icône nous montre : Dieu est venu nous apporter sa joie, sa paix et
prendre sur Lui nos ténèbres, nos blessures, nos souffrances. Il est devenu homme pour que nous puissions
devenir ce qu’il est, et nous retrouver dans son royaume, anticipé dès ici-bas dans cette sainte Liturgie, dans
la communion qui va suivre, avec déjà là les premiers rayons de l’aurore.
Amen.