Dimanche de l’Aveugle -né Homélie du 5 juin 2016 Père Jean Michel Sonnier, prêtre à Plumaudan et doyen des paroisses orthodoxes de Bretagne, Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale
Suite à la lecture du Saint Evangile selon Saint Jean 9, 1-38 : « En ce temps-là, en passant, Jésus vit, assis, un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent en disant : « Maître, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents, n’ont péché, mais c’est afin qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu. Il nous faut, tant qu’il fait jour, accomplir les œuvres de celui qui m’a envoyé ; vient la nuit où nul ne peut travailler. Pendant que Je suis dans le monde, Je suis la lumière du monde. » Ayant dit cela, Jésus cracha à terre et fit de la boue avec sa salive, puis Il lui appliqua la boue sur les yeux et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé (ce qui signifie « envoyé »). » L’homme partit donc et se lava, et revint voyant. Alors les voisins et ceux qui l’avaient vu auparavant (c’était un mendiant) dirent : « N’est-ce pas lui qui était assis et mendiait ? » Certains disaient : « C’est lui. » D’autres disaient : « Non, mais il lui ressemble. » Mais, lui, dit : « C’est moi. » Ils lui dirent donc : « Comment tes yeux se sont-ils ouverts ? » Celui-ci répondit : « L’homme appelé Jésus a fait de la boue, m’en a enduit les yeux et Il m’a dit : Va te laver à la piscine de Siloé. J’y suis donc allé, je me suis lavé et suis devenu voyant. » Ils lui dirent : « Où est-il ? » Il dit : « Je ne sais pas. » On conduisit aux Pharisiens celui qui avait été aveugle. Or le jour où Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux, était un sabbat. Les Pharisiens lui demandèrent alors à leur tour comment il avait eu la vue. Il leur dit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Certains Pharisiens dirent alors : « Cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le sabbat. » Mais d’autres dirent : « Comment un pécheur peut-il faire de tels signes ? » Et il y eut division parmi eux. Ils dirent encore à l’aveugle : « Que dis-tu de lui, de ce qu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. » Avant d’avoir fait appeler les parents de celui qui voyait, les Judéens ne crurent cependant pas qu’aveugle il eût trouvé la vue. Et ils leur demandèrent : « Est-ce là votre fils, dont vous dites, vous, qu’il est né aveugle. Comment alors voit-il maintenant ? » Ses parents répondirent : « Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle. Comment voit-il maintenant, nous ne le savons pas, ou, qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas. Demandez-lui, il a l’âge de parler de lui-même. » Ses parents disaient cela par crainte des Judéens, parce que ceux-ci avaient décidé entre eux que, si quelqu’un reconnaissait Jésus comme Christ, il serait exclu de l’assemblée. C’est donc pourquoi ils dirent : « Il a l’âge, interrogez-le. » Les Pharisiens appelèrent donc une seconde fois l’homme qui avait été aveugle et lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous, nous savons que cet homme est un pécheur. » Lui, répondit alors : « Si c’est un pécheur, je ne sais pas ; je sais une chose c’est que j’étais aveugle et que, maintenant, je vois. » Ils lui dirent à nouveau : « Que t’a-t-il fait ? Comme t’a-t-il ouvert les yeux ? » Il répondit : « Je vous l’ai déjà dit : n’avez-vous pas écouté, que vous vouliez l’entendre une nouvelle fois ? Ne voudriez-vous pas, vous aussi, devenir ses disciples ? » Alors, ils l’injurièrent et dirent : « C’est toi qui es disciple de celui-là ; nous, c’est de Moïse que nous sommes disciples. Nous, nous savons que Dieu a parlé à Moïse et que Dieu n’écoute pas les pécheurs, mais, celui-là, nous ne savons pas d’où il est. » L’homme leur répondit : « C’est pour cela, en effet, que je suis étonné, parce que vous ne savez pas d’où il est, et il m’a ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs, mais si quelqu’un est pieux et fait sa volonté, il l’écoute. Jamais, jusqu’à présent on n’a entendu dire qu’on eût ouvert les yeux d’un aveugle de naissance. Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils lui répondirent : « De naissance, tu n’es, toi, que péché, et tu nous enseignerais ? » Et ils le mirent dehors. Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé et, le rencontrant, Il lui dit : « Toi, crois-tu en le Fils de l’Homme ? » Il répondit : « Et qui est-Il, Seigneur, que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu l’as vu, et celui qui parle avec toi, c’est lui. » Il dit alors : « Je crois, Seigneur » ; et il se prosterna devant Jésus »
Frères et sœurs,
Nous sommes dans ce temps de Pâques qui est par excellence le temps de la lumière dans notre année liturgique, mais aussi toujours un temps du combat des ténèbres contre la lumière. Cette période liturgique était celle de la catéchèse baptismale pour ceux qui avaient été baptisés à Pâques. Jusqu’à la Pentecôte, les Pères de l’Eglise dont Saint Jean de Chrysostome et bien d’autres proposaient des catéchèses baptismales.
Déjà l’Apôtre Jean, dans son Evangile, nous livre une véritable catéchèse baptismale et sacramentelle. Ce n’est donc pas par hasard que nous avons aujourd’hui ce récit d’une guérison où Jésus envoie celui qu’il guérit se laver dans la piscine de Siloé qui est la préfiguration du baptême. C’est la victoire de la lumière sur les ténèbres qui est ainsi démontrée par la guérison d’un aveugle de naissance qui n’avait encore jamais vu la lumière.
Dans ce récit, les premiers aveugles sont sans doute ceux qui jugent et qui condamnent l’aveugle-né. La cécité, là, est d’abord spirituelle ! Elle nous concerne tous un peu à travers non fermetures, nos idolâtries… Les pharisiens bien sûr sont aveugles, mais les disciples eux-mêmes doutent de la miséricorde de Dieu. En tout cas, ils voudraient se réfugier derrière cette notion que l’on retrouve dans toutes les traditions religieuses : que les maux qui accablent un homme sont la conséquence de ses actes, de son péché ou de celui de ses proches (nous parlerions aujourd’hui volontiers de karma), donc quelque part mérités, ce qui n’incite guère à la compassion.
Bien sûr, toute action appelle une conséquence, mais voici que le Christ est « maître du karma », il est le Seigneur de la miséricorde. Certes, le mystère du mal n’est pas seulement lié à des fautes personnelles, car il y a aussi des péchés collectifs dont nous pouvons être complices, fût-ce par passivité. Là, bien sûr, notre marge de manœuvre peut alors paraître très faible, mais la prière a justement vocation à élever notre cœur et notre esprit au-delà de tout enchaînement funeste, pour entraîner au contraire à notre suite nos frères en humanité, en nous attachant – et eux avec nous (c’est cela l’intercession !) – au Nouvel Adam.
La première chose à faire, c’est d’implorer la miséricorde de Dieu. Or, cet aveugle qui mendiait dans le Temple devait clamer sa douleur dans l’indifférence générale, mais voilà que le Seigneur l’a entendu. Quand nous confessons avec douleur notre faiblesse et notre pauvreté, le Christ entend toujours ! Il nous envoie nous laver à la piscine, nous met ou nous remet en marche.
Le baptême nous a donné le moyen du Salut, mais ce moyen restera lettre morte si nous ne le saisissons pas, si nous ne prenons pas en main les dons que le Seigneur nous fait à travers son Eglise pour changer notre vie, pour grandir dans la foi. La première réponse de la foi à la miséricorde du Seigneur, c’est la réponse de notre amour. Il doit être transformant. S’il ne nous transforme pas du tout, c’est qu’il n’est pas actif, c’est que nous sommes en sommeil. La lumière de la miséricorde de Dieu est créatrice, elle appelle à la renaissance baptismale, et pas seulement au moment du baptême, mais tout au long de notre vie. C’est pour cela que nous nous préparons à la Pentecôte.
Nous avons reçu les premiers dons dans le baptême pascal, mais ils sont encore comme des graines, des bourgeons verts. Pour qu’ils puissent éclore, donner des feuilles, des fleurs et des fruits, il faut toute la puissance de l’Esprit. Pour recevoir cette puissance, il faut la demander, la souhaiter, la désirer ardemment. Cela implique une participation de notre part, une résolution humble et confiante. Il nous faut nous laisser façonner, recréer. Le Christ prend de la terre et avec sa salive, lui qui est le Verbe de Dieu, voici qu’il récrée les yeux de l’aveugle, et pas seulement ses yeux : il renouvelle également son cœur !
Il faut donc nous laisser nous aussi façonner et aller nous purifier à la fontaine, à la piscine baptismale. Car il faut nous replonger dans les eaux du baptême. Les Pères disent qu’il y a deux manières de le faire : par le mystère du repentir et de la confession, où l’on implore la miséricorde du Seigneur pour le pardon de nos fautes, et par le don des larmes qui certes vient de Dieu mais que l’on peut et doit appeler… Après sa guérison, l’aveugle va rendre aussi témoignage à l’œuvre du Christ. Il ne reste pas confiné dans un coin du temple, il rend témoignage de l’action du Seigneur devant ceux qui l’accusent. La parole des prophètes (notamment Isaïe) s’accomplit : « Les yeux des aveugles s’ouvriront » et encore – verset repris par le Christ lui-même : « Je suis venu annoncer une année de grâce pour le Seigneur, rendre la vue aux aveugles… » Il est dit aussi dans l’Evangile selon St Jean que nous lisons le jour même de Pâques : « La lumière a brillé dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas reçue… ». Ceci est valable pour tous les temps, toutes les époques, toutes les civilisations, il n’y aura pas d’exception. L’aveugle guéri fait la leçon aux pharisiens, à ceux qui étaient sûrs d’avoir reçu la vérité, d’être de vrais juifs orthodoxes…
Il est alors prêt, ce pauvre, touché par la miséricorde du Christ, à reconnaître le Fils de l’Homme. Car il voit maintenant aussi avec les yeux de son cœur spirituel et se prosterne en adoration devant Jésus. Après la vue du corps, il a trouvé la vue de l’âme. Son regard s’est converti sous l’action de l’Esprit. Son regard ne s’arrête plus aux apparences, il devient lui-même porteur de lumière, de vie et d’espérance. Et cette Pentecôte nous rejoint aujourd’hui. Prions donc l’Esprit Saint de nous ouvrir à un tel regard qui est proprement iconographique sur les hommes et la création, un regard neuf, perméable à la présence secrète mais néanmoins réelle du Royaume, en particulier dans cette Eucharistie, dans cette divine Liturgie où le Verbe vient prendre chair dans le pain et le vin qui vont être offerts sur l’autel, pour la Vie et le Salut du monde !
Et comme l’aveugle-né, mendions la lumière. Par elle, nous serons transformés et pourrons chanter, comme chaque dimanche après avoir communié, que « nous avons vu la vraie lumière » ! AMEN