Homélie Lazare et le mauvais riche du 20 Novembre 2016 à Plérin, de Père Jean Michel Sonnier, prêtre à Plumaudan et doyen des paroisses orthodoxes de Bretagne, Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale
Suite à la lecture du Saint Évangile selon Saint Luc 16, 19-31
«En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux.
Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères.
Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui.
Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance.
Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”
Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père.
En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !
– Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »
Frères et sœurs,
Lazare et le mauvais riche- Abraham et le pauvre
Nous venons d’entendre une parabole racontée par Jésus à ses contemporains pour leur faire comprendre, et maintenant à nous, plusieurs choses :
La première, c’est que nous irons là où notre cœur nous dispose à aller. Si spontanément notre cœur est tourné vers les biens célestes, les biens immortels, alors quand nous aurons rendu notre dernier souffle à Dieu nous serons emportés, comme le pauvre Lazare qui n’est pas attaché à la terre, dans le sein d’Abraham. Mais si nous sommes cramponnés à cette terre, nous y resterons attachés ! Le riche est enterré avec sans doute beaucoup d’honneurs, mais il n’en est pas moins mis en terre sans se voir ensuite élevé par les anges comme ce pauvre qui n’avait pas d’attache. Alors, la question est moins de compter combien nous avons dans notre porte-monnaie, que de savoir à quoi notre cœur est attaché, et l’usage que nous en faisons ! (Sans minimiser pour autant le danger des richesses…)
La deuxième chose qui est importante, c’est que le regard que nous portons sur nos frères trahit la disposition de notre cœur. Si le riche avait accueilli dans son cœur la miséricorde et la compassion de Dieu notre Père, il aurait vu Lazare qui gisait près de son portail… Mais il ne l’a jamais remarqué car ce dernier faisait partie du paysage, il faisait partie de l’ordinaire. Pour lui, cela ne devait pas même être un homme, mais une sorte d’objet du décor. Si son cœur avait été ouvert à la compassion, la lumière de l’Esprit Saint aurait éclairé ses yeux et il l’aurait vu, regardé, comme Jésus voit les plus pauvres d’entre nous.
La troisième chose, c’est que l’abîme qui s’est creusé entre Lazare et le riche l’a été par le riche, non par Lazare ni par Dieu. C’est lui qui s’est condamné à rester attaché aux ombres de la terre. Dans cette parabole, s’il avait manifesté un ultime repentir, alors aurait-il encore pu être sauvé ! Jésus reprend ici la compréhension que ses contemporains juifs avaient de la vie après la mort pour leur délivrer un avertissement qui vaut aussi pour nous, évidemment. Et d’autres enseignements viendront préciser ceci : l’abîme qui sépare ceux qui sont dans l’ombre de ceux qui sont dans la lumière ne dépend finalement que de la fermeture de leur cœur, car Dieu répand sa lumière sur les bons comme sur les méchants – il ne faut jamais perdre en effet de vue qu’Il ne la refuse jamais mais que l’homme, à force de s’être rendu imperméable à la grâce, s’en est parfois éloigné au point d’oublier qu’elle existe, que le pardon de Dieu est possible, en réponse à un véritable repentir.
Or qu’est-ce que le repentir ? C’est un premier frémissement d’amour vers le Père. Il faut que le cœur se dégèle au moins un tout petit peu. Le repentir, ce n’est pas seulement le regret. Si on a commis une erreur de code de la route qui ait eu des conséquences malheureuses, on le regrette naturellement. Mais le repentir, c’est davantage le mouvement d’un enfant qui, ayant fait de la peine à ses parents, vient se jeter dans leurs bras pour accueillir leur pardon. Le repentir demande que nous croyions en un Dieu qui est Père et qui nous aime. Si nous ne croyons pas que Dieu nous aime, nous pouvons avoir des regrets, mais il ne s’agit pas là de la conversion du cœur. Les pères disent que le repentir est souvent accompagné de larmes intérieures ou physiques, car c’est vraiment un frémissement du cœur, et c’est cela qui manque au riche. Ce n’est pas la miséricorde de Dieu qui fait défaut, mais c’est que son cœur ne frémisse pas !
Alors il dit à Abraham : « Envoie au moins quelqu’un du monde des morts pour manifester la réalité de ce qui attend les hommes au-delà de ce qu’ils voient ! ». Mais un prodige n’entraîne pas davantage la conversion du cœur. Il faut se souvenir des réponses de Jésus au tentateur dans le désert… Jésus lui-même ressuscitera d’ailleurs plus tard un Lazare à Béthanie – ce qui donne une résonnance particulière à cette parabole. Or, la réaction des pharisiens ne sera pas de se jeter aux pieds du Seigneur, mais de se décider au contraire à le faire mourir ! Et quand Jésus lui-même ressuscitera d’entre les morts, ceux qui l’avaient ainsi rejeté ne croiront pas davantage (sauf exception, comme Saint Paul). Au contraire, ils persécuteront les apôtres, lapideront Saint Etienne et précipiteront Saint Jacques, le premier évêque de Jérusalem, du pinacle du Temple ! Donc, le miracle n’a jamais vraiment converti personne ; on peut d’ailleurs toujours chercher des explications à tout. Mais le cœur peut être davantage retourné en voyant s’accomplir, comme le demande Jésus, un geste de miséricorde envers quelqu’un qui souffre…
La différence entre l’émotion et la miséricorde, c’est que l’émotion est fluctuante, dure souvent peu, et s’attache à quelques personnes généralement touchantes. C’est un début, certes, mais la vraie compassion n’est pas d’un moment ou d’un lieu : elle est offerte à toute personne, qu’elle ait un abord aimable ou non. Ce n’est pas quelque chose de superficiel, mais vient des profondeurs de l’âme.
Voici l’enseignement de cette parabole : ce n’est pas par la contrainte ou par un acte extérieur que nous serons convertis ou touchés, mais par l’accueil au plus intime de nous-mêmes de la grâce de l’Esprit Saint. Cette grâce que nous les chrétiens sommes appelés à accueillir dans la profondeur du cœur, devrait pouvoir y rayonner jusqu’à toucher tel ou tel de nos frères en attente urgente de l’Esprit Consolateur.
Nous entrons dans le Carême de la Nativité dans quelques jours pour ceux qui la fêteront le 7 janvier (il a déjà commencé pour ceux qui la fêteront le 25 décembre), alors il faut prendre des mesures pour nous préparer à accueillir Celui qui vient, comme prendre des temps pour nous remettre à l’écoute de l’espérance des prophètes et des paroles de l’Evangile. Ce présent Carême, moins austère que celui de Pâques, n’en demande pas moins un effort soutenu de l’âme et du corps pour préparer en nous une digne demeure à Celui qui vient, en nous détournant des vaines distractions pour mieux scruter dans le ciel l’étoile qui nous conduira, avec les bergers, jusqu’au secret de la crèche !
Amen